Un long dimanche de fiançailles | avec Gabriel

Dimanche matin, environ neuf heures, sous un soleil de plomb. Dans une ruelle pavée de Londres, toute proche de l'église Saint Paul, une jeune femme se servait d'un petit livre pour faire un peu de vent sur son visage harassé par la chaleur du soleil. A l'intérieur de la paroisse, une masse de fidèles suivait attentivement le prêche dominical et chantait, louait... Tandis que Vivian, seule à l'extérieur, essayait simplement de trouver un peu d'air frais pour son petit visage attaqué par l'astre brûlant. « Mon Dieu - oups, c'est du blasphème, je vais finir par mourir de chaud ici ! Et on dirait que la messe n'est pas encore terminée... Et dire que j'ai une âme à collecter juste après ça... Quelle triste histoire. » Aujourd'hui encore, la jeune femme allait récupérer l'âme d'une fervente paroissiale, assise au premier rang de l'église tous les jours, présente à chaque messe. Âgée, elle se promenait toujours doucement avec une besace en cuir et, dans le quartier pavé où elle habitait, elle nourrissait les pauvres chats errants qui avaient à peine de quoi faire avec les souris. Mais bon, tant pis... Vivian s'était très rapidement habituée à son travail et maintenant, récupérer des âmes n'était rien d'autre pour elle qu'une quête intéressante qui la faisait voyager un peu partout dans le monde. Finalement, intriguée par le contenu du petit livre qu'elle agitait devant son visage, elle se mit à lire la page qu'elle avait jusque là retenu entre ses doigts. « D'ailleurs, quelle est la cause de la mort ? Défaillance cardiaque et rénale liée à l'âge... Ah, c'est vrai que c'est une ancienne de Londres. » Le sourire aux lèvres, elle referma donc son petit livre pour s'éventer une nouvelle fois, tout en attendant la fin de la messe.

Alors que Vivian était perdue dans ses pensées, ses beaux yeux verts rivés sur l'église, un visage et une voix vinrent mettre fin à ses nombreuses élucubrations. Elle ne cessa pas de sourire pour autant, même si elle ne pouvait pas s'empêcher de se dire que la personne en face d'elle n'avait pas une aura normale, loin de là. Elle ressentait quelque chose d'étrange en lui. « On peut dire que je ne suis pas vraiment une fervente croyante... Il est vrai que je m'aventure rarement près des églises, sauf aujourd'hui. Est-ce qu'on peut dire que c'est l'appel de Dieu qui m'a ramenée par ici ? Je me le demande bien, haha ! » C'est toujours le sourire aux lèvres, d'un air innocent, que la jeune femme continua d'observer ce jeune garçon qui s'était finalement rapproché d'elle pour une raison ou une autre. Avait-il simplement envie de lui poser des questions de manière inopinée ?... Il arrivait que parfois, à cause de sa véritable nature, elle ne soit pas prise pour cible seulement de manière positive. Être un Shinigami n'était parfois pas de tout repos... Même si la plupart des humains ignoraient complètement l'existence de cette race si particulière, issue d'un triste incident. « Et vous alors ? Vous traînez aussi autour de l'église, mais apparemment pas pour assister à la messe. Il est rare de trouver des personnes qui n'y vont pas d'ailleurs... Peut-être un peu plus maintenant, avec la diversité des religions de tous ceux qui arrivent dans ce pays... Enfin ! Je m'égare un peu, maintenant. »

La Shinigami écouta alors les paroles de la personne près d'elle, continuant de l'écouter tout en s'éventant avec son petit livre mortuaire, essayant de résister à la forte chaleur de la ville de Londres. Il était donc simplement là pour attendre une amie ? Quelle dévotion il avait, prêt à rester sous le soleil pour attendre la fin d'un évènement bondé. « Cela doit être une très bonne amie, alors. Accepter de s'approcher d'une église autrement que par envie de moquerie, pour quelqu'un comme vous... Je suppose que ce n'est pas ce qu'il y a de plus simple, n'est-ce pas ? » Le sourire encore fixé sur ses lèvres, à force de réfléchir sur la nature de son interlocuteur, elle avait fini par comprendre qui il était. « Personnellement, plutôt que d'avoir à subir une colère éternelle de la part de Dieu pour m'être mal comportée, je préfère rester à l'écart et profiter d'une certaine neutralité. Disons que je ne suis pas exactement une jeune femme qui perd son temps en actions... Inutiles. » Et lui, savait-il à qui il était en train de parler, alors ? Connaissait-il la véritable nature de la jeune demoiselle en face de lui, avec ses yeux verts et ses lunettes caractéristiques ? « Une certaine personne, à vrai dire, préfère que j'agisse avec rapidité sans me préoccuper de détails futiles, haha... » Ah la la, ce très cher William... Si Vivian ne faisait pas bien son travail, c'était à lui que l'on s'adressait en premier. « La France, n'est-ce pas ? Il y a eu de magnifiques expositions universelles, là-bas... On m'a toujours dit que c'était un magnifique pays. » Elle y avait déjà été plusieurs fois, en tant que membre de la division britannique des Shinigami.

« Peu importe ce qui s'est passé ici, j'en serai toujours à l'écart... Dieu et l'origine du monde sont des sujets de conversation pour les humains seulement, parce qu'ils ont peur et qu'ils ont besoin d'une logique à toute épreuve pour supporter le monde dans lequel ils vivent. Lorsque ne nous sommes pas humains... Nous connaissons déjà la réponse à toutes les questions des hommes à ce sujet, n'est-ce pas ? » Sans perdre son sourire, elle continuait de tenir son petit carnet dans ses mains, serré pour ne pas avoir la chance de s'échapper de son étreinte une seule seconde. Le jeune homme était plutôt perspicace et plus Vivian y pensait, plus cela confirmait son manque d'existence en tant qu'humain. Il n'était pas comme les autres... Il le savait et maintenant, elle le savait tout aussi bien que lui. Elle se mit alors à rire innocemment. « Je dois avouer que je ne suis pas exactement ce qu'on appellerait une "humaine". J'ai bien l'apparence d'une humaine comme les autres, à quelques petits détails près... Mais je n'ai rien à voir avec les hommes, à part le fait que je suis la dernière instance qu'ils croisent à la fin de leur vie. » En tant que Shinigami, son travail consistait à observer les Lanternes Cinématiques et à récupérer les âmes de tous ceux et toutes celles dont elle devait s'occuper... Et rien de plus. « Je tiens tout de même à vous rassurer, au cas où vous vous poseriez la question... Si vous étiez ma cible aujourd'hui, je ne me serais pas étendue en questions futiles et en discussions avec vous, loin de là. J'aurais simplement fait mon travail de manière claire, nette et précise, comme on me le demande à chaque fois. » Et les cloches retentirent, sonnant la fin de la messe, alors que Vivian jetait un bref coup d'œil à son livre. « J'attends moi aussi une certaine personne... Pour l'aider à passer de l'autre côté. Vous avez bien compris de quelle nature je suis, maintenant, n'est-ce pas ? C'est une situation plutôt intéressante, je trouve. » Elle eut un petit rire innocent avant de chercher le visage de la vieille femme dans la foule qui sortait de l'église.